LES CHATS PERCHES DE SAINT CIRQ: "chez Moi"

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"chez Moi"

Change de vitesse, accélère, je rejoins mes amis, dix devant, bientôt dix derrière, une file indienne, les indiens aiment aussi la moto, plus petite, des mobylettes, je suis sur une italienne, puissante, une monture mécanique qui répond à ma main, un coup de poignet, le pied sur le levier de vitesse et le moteur rugit, ce n’est pas un cheval mais un tigre de métal que je monte, les paysages de Saint-Cirq défilent, les maisons, quelle beauté avec cette liberté et cette puissance déchaînée. Je traverse le beau pont de métal vert, mes vingts amis avec moi, le pont semble résonner de joie à notre passage. En contrebas, auprès du beau Lot brillant, dans le champ, n’est-ce pas un pilote qui s’apprête à s’envoler ?

Je ne suis au sol encore que pour une seconde, quel élan je m’envole, la terre s’éloigne, mon hélice à plein régime je monte, vite je monte et l’herbe loin déjà, une étendue verte maintenant, plus de brins. Je respire, les maisons dans cette étendue, cette belle propriété, l’eau de la piscine est verte, et ces pins magnifques dont je frôle la cime, un nid tout très dedans, l’oiseau s’envole comme moi, quel plaisir que fuser, que raser ainsi les choses dans les airs, j’accélère. Un homme avec un cahier dans le jardin se lève et fait un geste. J’accélère et je tangue au gré des vents. Là-bas l’Eglise de Saint-Cirq, les maisons collées dans un apparent désordre, charme de ces maisons à toits roses accrochées au fanc de la montagne qui grandissent devant moi. Sur la route, une voiture dévale la pente à toute vitesse. Je regarde à nouveau l’Eglise, je m’approche, je survole, je relance les gaz et je remonte alors qu’un homme sur la route fait signe à des engins contre une paroi.

« Une heure d’attente ». « Oui mais il va bientôt passer, attend encore un peu, on va rejoindre les chiens ». Mon 4x4 redémarre, descend la route à toute vitesse, remonte sur un chemin, mange ce chemin, et rejoint l’abord du bois. Les chiens aboient. Trois coups de fusil. « Ne restez pas là ». Encore un promeneur inconscient. Trois coups de fusil. Il a peur l’idiot avec son cahier. « Ne restez pas là ». Je descends de la voiture et cours dans le bois. Comment avait-on pu perdre la trace de la bête ? Qu’avez-vous vu ? « C’était elle ». « On l’a manqué. » Je repars dans l’autre sens, remonte dans le 4x4, j’accélère, le chemin humide se creuse sous mes roues. Il gardera mes traces. Je longe une maison. Quel beau dimanche.

« Que penses-tu de cet élargissement ? » « Cela sera suffisant, penses-tu ? » « Non, hein ? » « Allez-y, creusez davantage, dégagez-moi encore deux mètres dans la roche de chaque côté ». Ma voix semble telle que les engins attaquent aussitôt la pierre. Une voix qui creuse la roche. Quelle beauté que cette puissance qui détache les morceaux de la montagne. Je pense aux trois autres lieux, ou quatre je ne sais plus, où j’ai aplani le sol avec ma voix, où j’ai enlevé des quartiers entiers de montagne pour faire place. J’ai l’impression que ma bouche est assez puissante pour manger la montagne. Tiens un promeneur tenant un cahier ouvert qui me regarde. « Bonjour ». Je me retourne. Allez-y encore, grattez, creusez, cassez, aménageons ces lieux insuffisants. J’aime entendre ces machines qui obéissent à ma voix. J’aime voir ces nouveaux espaces plats, recouverts et encadrés. De loin, ce sont comme de petits cubes vides dans les flancs de la montagne, des petits cubes à créer, à arracher avec ma voix contre la paroi.

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